Au temps où les machines à laver n’étaient pas d’un usage courant, un rituel d’été revenait tous les lundis : la petite bugade.
La veille avant d’aller se coucher on avait trié le linge, le blanc d’un côté, la couleur de l’autre et à part les chaussettes. Dans la lessiveuse remplie d’eau chaude on avait mis à dissoudre les paillettes de savon et mis à tremper la bugade de blanc. Mettre à tremper est une étrange expression.
- Pourquoi on met à tremper, maman ?
- Pendant la nuit le savon va travailler, et demain pour laver ce sera plus facile.
Dans mes rêves de gosse, je voyais les paillettes de savon sortir leur petits bras et frotter, frotter. De grosses gouttes de sueur coulant sur leur front.
Au matin, ma cousine Claudette disait :
- J’ai rien dormi, la Canotte à gigoter des bras toute la nuit.
Je versais une bonne lampée de café dans chaque bol, ces bols hauts et larges où les tartines trempent à l’aise, (décidément tout le monde trempe dans cette histoire). J’amenais sur la table la biche à lait qui avait passé sa nuit dans un seau rempli d’eau fraîche et oui s’il n’y avait pas de machine à laver, il n’y avait pas non plus de réfrigérateur, mais quel plaisir d’enlever l’épaisse couche de crème qui s’était formée.
Le déjeuner avalé, l’expédition commençait :
On sortait le véhicule de la grange : une brouette à paille. On charriait à deux la lessiveuse que l’on bloquait contre le dosseret de la brouette puis on calait la cuvette en plastique contenant les chaussettes, les brosses en chiendent, le savon de Marseille, la bouteille de javel, enfin on mettait en tas le linge de couleur enroulé dans les grands devantiers. Ma sœur était chargée du piochon et de la boîte à vers de terre, l’équipe était partie jusqu’au lavoir.
Dès l’arrivée pourtant matinale, d’autres nous avaient devancé. Echange de salutations, de considérations sur la météo, mais surtout question primordiale : « Comment est l’eau » ? Par chance le lavoir avait été nettoyé à fond le samedi.
Le plus grand des bassins servait au lavage, le plus petit servait au rinçage, en permanence son robinet déversait une eau froide qui venait de la colline. Le petit bassin avait un déversoir, le trop plein s’écoulait dans le bassin de lavage. Les deux bassins étaient entourés d’une « planche de lavage » en pierre de grès rose polie inclinée, d’environ 60 cm avec dans le fond une goulotte percée par endroit pour recracher l’eau. Cette pierre était à hauteur d’homme, enfin plutôt de femme, car j’ai rarement vu pour ne pas dire jamais, un membre de la gent masculine au lavoir.
La lourde lessiveuse était transportée près du bassin, le linge blanc était sorti posé sur la margelle et remplacé par le linge de couleur. On préparait la cuvette avec de l’eau froide javellisée, et le labeur commençait. J’aimais frotter, lancer le torchon sur l’eau, il se gonflait comme une voile retombait à la surface, je regardais les gestes de ma mère et des autres femmes pour mieux les imiter.
Les langues travaillaient aussi. Si le salon de coiffure était propice aux papotages pour les citadines, le lavoir remplissait cet office à la campagne. Parfois même certaines conversations s’égaraient lestement oubliant notre jeune présence. Une histoire drôle faisait perler des rires qui résonnaient sous la voûte. Soudain une mèche de cheveux retombait sur un front, énervant la lavandière, elle se redressait et de sa main mouillée tirait la rebelle et rattachait la brune chevelure. Des gouttes de sueur roulaient lentement le long des visages, s’égaraient le long du cou pour disparaître dans la fente soyeuse d’une poitrine généreuse. Inlassablement les brosses frottaient, les battoirs frappaient, le linge difficile à « ravoir » était mis dans la cuvette, la javel viendrait à bout des taches.
Quand tout le linge était lavé on passait au rinçage. Ma mère avait une poigne terrible, elle essorait le linge. L’eau était si douce, elle donnait tant de souplesse au tissu qu’il était bien inutile de mettre un quelconque adoucissant. Le linge propre était entassé dans la lessiveuse, chacune nettoyait sa place, la brouette était rechargée.
-Oh zut on a faillit oublier ta sœur ! disait ma mère. C’est vrai ça ma sœur avec son piochon et sa boîte à vers.
Entre le mur du lavoir et le mur d’enceinte de la propriété de la famille Blachon, il y avait un passage d’environ un mètre la terre y était noire et riche et surtout humide en permanence car elle ne voyait jamais le soleil, c’était le royaume des vers de terre, le passage obligé des pécheurs. Ma mère étant une pêcheuse acharnée, ma sœur avait pour mission de remplir chaque semaine la boîte à vers.
De retour à la maison, il fallait encore étendre notre lessive. Dans le pré, sur les fils, s’alignaient, serviettes de toilettes, torchons, culottes et maillots de corps, draps et linge de lit, éblouissants dans le soleil à son zénith.
Heureusement pendant la matinée mon père s’était chargé de préparer le repas. Nous posions enfin nos corps fatigués sur une chaise, pour savourer la salade de haricots et tomates aux œufs durs, les pommes de terre au four et le restant de viande du Dimanche. Triomphant mon père arrivait avec sa tarte aux prunes sauvages et souriait devant nos mines gourmandes. La vaisselle faîtes, nous pouvions apprécier la sieste, dans les chambres où les volets tirés avaient conserver la fraîcheur, je retrouvais mes héros de l’époque, Blek le Rock, Akim, Mandrake, Kit Carson, Cœurs vaillants….
Pendant ce temps derrière dans le pré claquant au vent parfumé des senteurs de notre campagne, odeurs de foin ou de moisson, séchait la lessive…
Dommage, le lavoir dont je parle ici n’existe plus, heureusement beaucoup de villages ont préservé le leur, comme les fours à pain communaux ou banaux, les croix de missions, le lavoir fait parti de notre patrimoine architectural.