Mon tonton Bébert avait une tata Suzette qui était la sœur de ma maman.
Dans le village vivait une curieuse paysanne. Elle menait ses vaches au champ chaque après-midi en trimbalant un invraisemblable bric à brac. Madame Cortial était artiste-peintre. Elle avait fait l’école des Beaux-arts de Paris, comment s’était-elle retrouvée paysanne en Haute-Loire c’est un mystère.
Elle s’installait près de la croix de mission, et peignait les ruines de l’ancien château médiéval de Recou. Ses vaches elles se débrouillaient comme elles pouvaient. On achetait à l’épicerie du village, les fromages blancs en faisselle que Mme Cortial faisait avec le lait de ses vaches.
Le personnage était surprenant. Petite ronde avec un arrière-train qu’équilibrait une bedaine proéminente. Sur ce ventre retombait une poitrine abondante qu’aucune maternité n’était venue justifier. Elle portait un large chapeau de couleur indéterminée, orné de fleurs artificielles, des chemisiers froufroutants constellés de taches, sur des jupes droites grises et de grosses godasses à lacets, une paire de lunettes ronde cerclée de métal, voilà pour l’aspect extérieur. L’intérieur était éblouissant de savoir et d’intelligence. Elle parlait histoire de l’art, géographie, histoire, science humaine avec passion.
Ma tante Suzette eu envie d’un tableau pour décorer sa chambre. Rendez-vous fut pris pour l’heure du café, un dimanche après-midi.
Une grosse brioche aux pralines dans les bras et nous voilà parti.
La cour de la ferme était encombrée de machines agricoles d’un autre âge (sans doute d’avant-guerre) batteuses, moissonneuses, tracteurs Fergusson. L’entrée était envahie de vêtements suspendus, de chaussures et sabots. Nous entrâmes dans une grande cuisine où trônait une table de monastère dont pas un cm carré n’était libre, bouteille, bocaux s’y étalaient à l’envie.
Dans l’angle un évier recouvert d’une épaisse couche infâme, semblait maintenir droite une énorme armoire Louis-Philippe. Coincée entre l’armoire et une splendide horloge régionale couverte de caca de mouches, une chaise Napoléon III,était occupée par une pile d’assiettes sales d’environ deux mètres de haut dont l’équilibre semblait bien précaire. Ma tante tendit la brioche. Mme Cortial pris l’assiette en haut de la pile, siffla.
Trois chiens arrivèrent du dehors, elle leur tendit l’assiette qu’il léchèrent consciencieusement et elle posa délicatement la brioche dessus.
- Et ces petits je vais pas leur donner du café, je dois avoir du sirop de citron par là.
Elle sortit de l’armoire une bouteille ou un contingent de fourmis s’étaient noyées, trois verres à la transparence « opaque » et une passette à tisane. Le sirop rempli les verres, les fourmis la passette. Le choix du tableau nous sauva d’une dégustation hasardeuse.
Ma tante choisi un bouquet champêtre et une vue du fameux château de Recou, mon oncle revint avec 60.000 francs (anciens francs d’avant 1961 aujourd’hui cela représente 90 euros) de moins dans son portefeuille.
Je ne sais pas ce que sont devenues les œuvres de Madame Cortial, mais je sais que plus jamais nous n’avons acheté de fromages blancs en faisselles à l’épicerie du village.
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